Ces dernières années, la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté la tradition universelle consistant à adresser des vœux du Nouvel An au grand public, aux partenaires et aux autres acteurs des droits de l’homme. Conformément à cette tradition et à l’occasion de cette nouvelle année, je voudrais adresser mes vœux les meilleurs à la famille de la Cour ainsi qu’à ses amis et à ses partenaires. Avec ce message, qui donne le ton de la nouvelle année, je crois que 2022 nous offrira l’opportunité de réformer la justice des droits de l’homme en Afrique. Mon message pour cette année est donc un appel à toutes les parties prenantes à bâtir une alliance en vue de trois réalisations principales : promouvoir une justice de qualité ; placer les États membres au cœur du discours sur la justice des droits de l’homme ; et concevoir des stratégies pour promouvoir la contribution de l’Afrique à la résolution de la crise mondiale et régionale de la démocratie.
Au cours des deux dernières années, la Cour africaine s’est adaptée à l’évolution rapide de la justice internationale en matière de droits de l’homme, notamment en relevant les défis posés par la pandémie de Covid-19. Les réalisations de la Cour depuis l’avènement de la pandémie révèlent une tendance constante à l’augmentation de la productivité. Malgré la difficulté liée à la tenue des sessions en présentiel, la Cour a presque doublé sa production judiciaire en rendant plusieurs arrêts au cours d’une année civile. Cependant, l’année 2022 aura son propre cortège de défis particuliers. En tant qu’institution judiciaire, la Cour africaine sera certainement confrontée à des défis qui sont inhérents à l’administration de la justice en Afrique, surtout à une époque où la justice continuera d’être rendue essentiellement en ligne. Ces difficultés se poseront notamment en ce qui concerne le respect du droit à un procès équitable, l’élaboration de solutions adéquates à un contentieux sociopolitique émergent et l’application de recours efficaces à une époque où les États affirment de plus en plus leur souveraineté. La Cour doit également faire face à la nécessité cruciale de tirer le meilleur parti de sa capacité opérationnelle, désormais bien établie, afin d’obtenir une qualité et une autorité accrues. La réalisation de cet objectif passe nécessairement par une réforme institutionnelle interne, mais exige certainement que les parties prenantes externes adoptent une approche nouvelle dans le cadre de leur engagement judiciaire de manière à aider la Cour à libérer tout son potentiel en matière de justice, comme l’envisage l’Union africaine et conformément aux aspirations des Africains.
Comme nombre d’entre vous le savent déjà, la Cour africaine est à la croisée des chemins du développement institutionnel. L’engagement avec les différentes parties prenantes en 2021 a renforcé notre conviction qu’une réforme menée par nous-mêmes est la voie à suivre si nous voulons préserver les fondements du système de justice des droits de l’homme en Afrique. Ceci étant, il est incontestable qu’une réforme significative de la Cour ne peut être réalisée sans une refonte institutionnelle globale de l’Union africaine en tant qu’organisation intergouvernementale de tutelle. Il s’agit là d’un ingrédient essentiel de l’élaboration du discours sur la justice au cours de l’année 2022 : ramener les États au cœur de la justice des droits de l’homme en Afrique. À cet égard, je voudrais saisir cette occasion pour féliciter l’Union africaine et les États membres pour l’engagement indéfectible qu’ils ont pris en 2021 d’entamer un dialogue constructif avec la Cour en vue de procéder à un examen de leur rôle dans la promotion de la justice en matière de droits de l’homme en Afrique. J’espère sincèrement que ce dialogue, lorsqu’il se concrétisera au cours de la nouvelle année, servira de plateforme commune pour établir et renforcer une relation cordiale entre la Cour et les États membres et, à terme, améliorer le paysage de la justice en matière de droits de l’homme sur le continent.
Il convient également de relever que la protection des droits de l’homme ne peut être pleinement réalisée sans la participation active des citoyens africains et le soutien des acteurs non gouvernementaux qui représentent les populations africaines pour lesquelles et au nom desquelles les États membres ont créé la Cour africaine. Les dirigeants actuels de la Cour africaine espèrent donc que la Société civile africaine se joindra au processus de réforme de la Cour en s’engageant activement auprès de l’Union africaine, des États membres à titre individuel et de la Cour. Autant nous devrions promouvoir les changements qui repositionnent les États en tant que parties prenantes clés, autant les citoyens africains devraient s’engager de manière proactive auprès de la Cour, soit directement, soit par le biais de la société civile africaine, afin de garantir la protection effective de leurs droits et libertés fondamentales.
Enfin, la justice en matière de droits de l’homme est au cœur du débat sur les menaces actuelles qui pèsent sur la démocratisation en Afrique. Il est de plus en plus à craindre que les droits de l’homme soient les premières victimes de la nouvelle tendance mondiale aux changements anticonstitutionnels de gouvernement et au retour à un passé autoritariste. En 2022, la Cour africaine aura donc la lourde tâche de rendre justice sur des questions de droits de l’homme dans un environnement régional miné par la crise mondiale de la démocratie. Pour ce faire, la Cour devra relever les défis que l’environnement opérationnel engendrera à coup sûr et qui affecteront probablement son fonctionnement.
En outre, les événements sociopolitiques en cours sur le continent créent un besoin pressant qui nous oblige à rétablir la confiance institutionnelle. Par conséquent, bâtir et consolider la confiance institutionnelle, tant aux yeux du public que des États membres, constituera l’un des objectifs majeurs de la Cour au cours de la nouvelle année. Des institutions telles que la Cour africaine ont prouvé ces dernières années qu’elles pouvaient apporter une contribution significative à l’intégration régionale et au développement humain. Si les gouvernements africains renouvellent leur engagement envers l’objectif initial qui a conduit à la création de la Cour africaine, il est certain qu’en se réinventant de manière à faire face aux défis actuels et à y répondre, la Cour apportera une contribution sans précédent à la résolution de la crise régionale de la démocratie que connaît présentement le continent.
En définitive, la consolidation de ces perspectives au cours de l’année 2022 requiert l’appui de toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse de l’Union africaine, des États membres, des juges et du personnel de la Cour, des justiciables, des organisations africaines et des organisations travaillant en Afrique et pour l’Afrique. Au nom donc de notre Cour, je vous invite tous à contribuer à la réalisation de la vision de la Cour africaine, qui est de construire un continent doté d’une culture des droits de l’homme viable. Au-delà de l’Union africaine, la devise « l’Afrique que nous voulons » doit désormais être portée par les dirigeants et les citoyens africains. La Cour africaine espère vivement que nous serons tous inspirés par cette devise pour l’année 2022 et que nous affirmerons notre engagement collectif en faveur d’une intégration régionale axée sur les droits de l’homme.